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Etre femme divorcée

Etre femme divorcée

 

Par Ammar KOROGHLI * (In le quotidien d’Oran – mai 2010)

 

 

Voilà une tranche de vie de Sâadia, une vie qu’elle n’a pas vécue, qu’on lui a imposée depuis l’âge de la puberté. Il ne s’agit hélas pas de fiction. Ce qu’elle m’a alors dit, votre serviteur le rapporte en substance. Fidèlement.

 

 

J

e suis née en France où mes parents résidèrent longtemps. Ils décidèrent de rentrer en Algérie parce que ma mère avait peur pour notre éducation. Drogue et débauche à éviter. Entendre prostitution. J’avais sept ans. J’ai des parents très conservateurs. Mais malgré ce qu’ils m’ont fait, je les aime beaucoup. Surtout ma mère. Et puis, je ne suis pas rancunière. Depuis mon tout jeune âge et pour l’honneur de ma famille, je dois plaire à mon entourage même si cela me contrarie. Elevée dans la soumission totale, j’ai pris le pli d’agir toujours selon les commandements de ma famille. Ayant atteint l’âge de l’adolescence, je n’avais nullement le droit d’agir comme font les filles de cet âge. D’ailleurs, tous les refoulements de cette période délicate sont restés en moi, me tiraillant jusqu’à présent et se transformant par la suite en crainte, en non confiance en moi.

Mes parents m’obligèrent à rompre mes études de peur que je ne fasse une bêtise ! Non pas parce qu’ils n’avaient pas confiance en moi, mais ils avaient peur pour moi par les temps qui courent, disaient-ils, car je suis très naïve et large d’esprit. J’ai sombré par la suite dans une attitude maladive à voir tous mes rêves mourir sous mes yeux et mon désir de devenir médecin s’envoler à jamais. Je devais être avant tout une femme au foyer, une bonne épouse, une bonne mère pour mes futurs enfants et un… cordon bleu. Et j’ai réussi à l’être grâce à ma mère. Mon apprentissage a duré près de cinq ans. J’ai même appris la couture et la broderie pour terminer mon stage de femme au foyer ! J’ai dû porter ma douleur durant des années silencieusement et sagement comme le veut l’honneur de la famille même si je voulais terminer mes études avant tout et profiter de la vie. Je n’ai jamais eu de premier amour comme les autres jeunes filles alors que je suis sentimentale et romantique. Mais comment aimer puisque je devais suivre une trajectoire déjà tracée par mon entourage ? Mes frères et sœurs ne pouvaient rien faire pour moi. Je me retrouvais toute seule à la maison, à faire le ménage et la cuisine. Ma mère m’aidait de son mieux. J’étais jalouse de mes sœurs, mais je leur ai toujours souhaité de réussir car je ne veux pas qu’on leur fasse comme moi.   

Le cauchemar arriva lorsque mes parents décidèrent de me marier. Moi qui voulais faire un mariage d’amour, c’était raté.  Je n’ai même pas eu le droit à des fiançailles. J’étais malheureuse. Je n’avais jamais vu mon futur mari. Je ne savais rien de lui, ni même du mariage. Pour ma belle-mère, il suffisait de savoir faire la cuisine et le ménage et être en très bonne santé. Pour ma famille, c’était le paradis sur terre. Pour elle, je serais heureuse, j’allais faire des voyages, j’allais voir la vie en rose. C’était plutôt en noir que j’ai vu la vie. Je ne pouvais pas dire non à ma famille car j’avais très peur. Je dus accepter car je savais que je n’avais pas le choix. C’était la meilleure solution pour moi puisque je ne pouvais choisir l’homme qui m’épouserait. Je me suis mariée les larmes aux yeux, le coeur déchiré, l’âme meurtrie, avec un homme que je n’ai ni aimé, ni désiré, ni choisi, ni connu… J’ai vécu le calvaire. J’avais une belle-mère méchante ; elle passait son temps à donner des ordres, matins et soirs.

Je faisais le ménage comme une esclave tandis que ma belle famille se payait des voyages et la belle vie. Pis encore, je n’avais pas le droit de regarder la télévision, ni même d’écouter de la musique. Ni même de rentrer dans le salon ou de discuter avec mes beaux parents car ils étaient des bigots hors pair. Je ne pouvais même pas manger sur la table ; je prenais mes repas dans un coin par terre. Il m’était interdit de me faire belle. Et même de téléphoner à ma famille. Quand mon beau père apparaissait, il fallait que je me cache. C’était affreux. C’était le moyen-âge. Je devais appeler ma belle-mère Lalla et mon beau-père Sidi. Mon ex mari était un fils à maman. Il était téléguidé par sa mère. Il faisait tout de qu’elle lui disait malgré la trentaine passée. Il ne me parlait jamais. J’étais pour lui celle qui lui lavait son linge et lui préparer à manger. Il ne m’a jamais fait sortir pendant tout le temps où je fus mariée à lui. Je devais aussi lui préparer tous les jours une bassine d’eau chaude pour lui laver les pieds ! Avec tout cela, je n’avais pas le droit d’aller voir mes parents, sauf à de rares occasions. Je faisais tout de ce qu’ordonnait de faire. Sans rien dire, étant de nature calme. Il est vrai aussi que j’avais très peur.

Le soir, mon ex-mari jouissait de moi. Par force. Il n’était même pas doux avec moi. Alors que je suis affectueuse et sensible. Je ne suis pas arrivée à l’aimer. Il y a de quoi. Je n’ai pas connu le vrai amour. Je passais mon temps à pleurer. Je me souhaitais la mort pour être soulagée de cette souffrance. J’étais très malade. Moralement surtout. Je ne savais plus quoi faire. Personne pour m’aider, ma famille n’étant pas au courant de mes problèmes. Quand ils venaient, il fallait faire semblant d’être heureuse. J’avais des belles-sœurs jalouses et mauvaises avec moi. Elles disaient que j’étais moche ; elles rentraient toutes dans ma chambre et prenaient tout ce qui leur plaisait sans demander ma permission. Ce n’était pas une chambre, c’était un souk…

J’étais enceinte de deux mois quand j’ai eu des envies de manger ce que je voulais. J’avais peur de leur demander de m’acheter ce que je désirais. Un jour, mon ex-mari frappa ses sœurs. J’étais contente car elles le méritaient. Une fois celui-ci au travail, la belle-mère me roua de coups, en me tirant par les cheveux. Elle me disait que j’avais monté la tête de son fils contre ses sœurs. J’eus beau crier mon innocence. Ce n’était pas la première fois qu’elle le faisait sans raison. Pour le plaisir de me dire qu’elle est la maîtresse de la maison. J’étais toujours pâle, le moral à zéro. Je ne pouvais plus supporter cette vie. J’avais décidé de me suicider mais je n’ai pas eu le courage. Et puis, je portais un bébé en moi. Il avait droit à la vie.                                                  

 

Un jour, j’étais très malade. Je ne pouvais rien faire. Ma belle-mère m’ordonna de m’occuper du parterre de la grande cour. Je devais le faire à la main. Ce jour là, j’ai éclaté. C’était un raz de marée qui venait tout emporter sur son passage. Tous ces mois de refoulement, d’obéissance et de soumission avaient crié NON, NON et NON. Je ne suis pas une esclave. Elle me traita de tous les noms et me dit qu’elle allait en informer son fils. Arrivé, ce dernier me frappa violemment. J’ai cru que j’allais mourir. J’étais alors enceinte de quatre mois. Malgré mes douleurs, je fis le parterre de la cour ; après, je me suis enfermée dans ma chambre. Mon ex-mari m’ordonna de préparer mes affaires pour me déposer chez mes parents. On lui rapporta que j’avais insulté son père. C’était hors de ma portée, non seulement mon éducation me l’interdisait, mais également j’avais très peur de lui. Je me suis retrouvée à l’hôpital où je dus demander des certificats médicaux pour les coups et blessures subis. Que croyez-vous qu’il lui arriva ? Rien. Il était riche.

Ainsi, après une année de mariage forcé, je divorçais. Enfin. Après tout ce temps de misère et de souffrance. J’ai eu un petit garçon. Adorable. Je voulais le donner à son père, mais mes parents ont refusé. Ils ont préféré que je le garde. Je l’aime beaucoup, même s’il me rappelle involontairement ma souffrance. Maintenant, je me retrouve de nouveau enfermée entre quatre murs. Mon destin ? Je voulais terminer mes études. Hélas, il n’en fut rien car il était trop tard pour moi.

Je me sens souvent très seule. Pour une femme divorcée, dans la ville où je vis, ce n’est pas du tout facile. C’est pourquoi mes parents refusent de me laisser sortir. Et encore moins de travailler. Alors, je fais de la couture. Pourtant, j’ai beaucoup de volonté et d’amour à donner. Je sais qu’il faut me battre pour avoir le droit à la vie. Je ne peux hélas rien faire contre mes parents. Si d’aventure, je leur rappelle que je suis majeure, je me retrouve sans toit. Et qui dit rue dit débauche. Ce chemin là ne mène à rien. Je ne sais plus quoi faire. J’ai peur de l’avenir. Je souhaite vivre et trouver le minimum d respect dont j’ai besoin. Je veux être heureuse.

On dit souvent après la pluie le beau temps. Alors j’attends. Mes parents ne me laissent pas sortir de peur que je ne sois la proie des mauvaises langues. Nous les divorcées, nous sommes rejetées de partout. La société ne cesse de briser nos rêves. De nous rendre la vie insupportable. Il paraît que nous représentons la honte pour nos familles. Et malgré mes qualités morales, je resterai aux yeux de beaucoup de gens entourée de doute. Une femme à ne pas fréquenter. A ne pas approcher si ce n’est par les jeunes célibataires en quête de plaisir. Chez nous, on prend son plaisir avec la divorcée et on se marie avec la pucelle. Cela me donne envie de mourir. De vomir cette mentalité et la société qui l’a secrétée. Je ne sors donc pas pour éviter d’avoir une déception. Remarquez, je comprends mes parents, mais je veux tant être heureuse comme tout le monde…

 

Etre femme divorcée, n’est-ce pas là la pire des injustices ? Je demande qu’on nous foute la paix. Qu’on nous laisse réaliser nos rêves ! Est-il d’assassiner et d’enterrer ce qu’il y a de plus merveilleux en nous ? Certes, ce n’est pas un drame en soi d’être divorcée. Mais pour les autres, c’est un crime. Un péché. Je ne dis pas que tout le monde raisonne ainsi. Il y a heureusement des hommes et femmes intelligentes dans notre pays. Je suis triste car finalement je ne connais rien à la vie. J’ai passé toute mon existence entre quatre murs à rêver toute éveillée d’un bonheur avec celui qui saura m’écouter, me comprendre, me rendre la considération que je mérite. Je sais que les rêves ne se réalisent que rarement, mais je garde courage car tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir. Comme on dit.  

Voilà, j’ai tout dit sur ma vie. Je crois que je vais apprendre à m’accepter car, à vrai dire, je ne m’aimais pas. Je croyais être finie. Et là je me confie en donnant libre cours à mes pensées qui ont toujours été une torture infinie pour moi. Je me suis délivrée au fur et à mesure de ce fardeau qui me pliait l’échine, me fendait l’âme et l’esprit. Il fallait que je vide mon cœur et me soulager. La ville où je vis actuellement est très belle. Il y a la mer. Il y a même la montagne. C’est très calme, sauf l’été avec l’arrivée des estivants. Il y a souvent de très beaux couchers de soleil. Je m’y plais beaucoup. Même si je ne sors toujours pas…

 

* Auteur – avocat Algérien    

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Date de création : 26/06/2010 @ 15:33
Dernière modification : 20/01/2014 @ 23:50
Catégorie : Nouvelles
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