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Voyage dans les froideurs de l'exil

Voyage dans les froideurs de l’exil

 

Par Ammar KOROGHLI*

 

Dans l’avion qui m’amenait en terre d’exil, je fis la connaissance d’un compatriote bien au fait de la vie parisienne. Il m’en entretint tant et si bien que je finis par ne plus craindre l’exil qui devint un doux euphémisme.

 

I

l me déposa au quartier latin, Près du boulevard Saint Michel. Proche de l’hôtel Saint Séverin où je passai quelques jours. L’un de mes compatriotes m’ayant généreusement hébergé ensuite, le temps de trouver une piaule en banlieue en Val de Marne. J’y suis resté quelques semaines ; j’y ai loué une chambre chez une dame d’un âge respectable, à la retraite, qui avait ainsi un revenu complémentaire. J’appris plus tard qu’elle avait plusieurs enfants dont certains lui rendaient visite de temps à autre. Particulièrement lors des fêtes. J’eus à les connaître. Je me souviens particulièrement d’un soir où, de retour de l’université, je trouvai ma logeuse pleurant. Elle m’expliqua que, lors de la venue de ses enfants, ils discutèrent en sa présence du sort futur de son pavillon qui leur reviendra en héritage. Elle mit, m’affranchit-elle, toute une vie de labeur intense avec son défunt époux pour y arriver...             

     Je me levais tôt chaque jour. C’était l’hiver. On ne parlait pas encore du réchauffement climatique. Il faisait un froid à ne pas mettre le nez dehors. Même pour les canards. Et pourtant, il le fallait. Vers six heures du matin. Je prenais invariablement du thé. Et je sortais pour prendre le RER vers Paris. Pour arriver au train, il me fallait bien un quart d’heure pour arriver à la station, surtout par temps de neige. A huit heures, je devais être aux portes d’un centre pour jeunes en recherche de travail proche de la Tour Eiffel ; on y affichait, dans le hall, des annonces pour des travaux ponctuels. Souvent réservés à des étudiants. Chaque jour, c’était la débandade. Après avoir noté quelques annonces, il fallait courir à l’assaut des cabines téléphoniques toutes proches pour prendre contact avec nos éventuels employeurs pour quelques jours, voire quelques heures parfois. Il fallait surtout avoir plusieurs pièces d’un franc, sinon faire l’appoint la veille pour pouvoir téléphoner ; depuis, la carte a remplacé la monnaie et le franc l’euro. Pour avoir quelques dizaines de francs et les convertir presto illico en tickets de restaurants universitaires pour nous assurer la pitance quotidienne et l’abonnement à la carte mensuelle de transport en commun (carte orange, remplacée depuis par la carte navigo). Je fis ainsi toutes sortes d’emplois. Tantôt distribuer des tracts publicitaires à la sortie des bouches de métro, tantôt partir en banlieue à plusieurs pour vendre des cartes postales d’associations caritatives à des habitants d’immeubles où certaines âmes charitables n’hésitèrent pas à m’en acheter plusieurs pour m’aider dans cette tâche. Je fis ainsi la connaissance de l’un des immigrés maghrébins qui jouait au balayeur dans le métro. Il sortit fort en colère, me menaçant de son balai. Je distribuais les tracts publicitaires que certains jetaient à même le sol, occasionnant à Ammi Ahmed un travail supplémentaire. Nous finîmes par sympathiser et rire de notre misère : l’un balaie ce que l’autre distribue…  Mektoub, nous sommes-nous dit...

           Plus tard, je pus louer un studio dans un état peu glorieux, il est vrai. Grâce à l’un de mes camarades d’université. Ce fut là véritablement le début de ma carrière d’exilé. Un immeuble voué au dépérissement. Escaliers fort étroits sur quatre étages. J’habitais au quatrième. Toilettes sur paliers pour quelques seize familles. Vue sur les toits d’autres immeubles qui allaient au fur et à mesure s’emplir de paraboles, compagnons qui allégeaient quelque peu la solitude et la froideur de l’exil.  Le studio ? Entrée donnant sur une chambre où furent placés un lit et une armoire. Un lavabo dans un mètre de cuisine. Avec un petit débarras dont l’état ne prédisposait à aucune utilisation. La salle de bains ? Un luxe alors. Merci les douches municipales ! Je m’y suis rendu longtemps en fin de semaine. Le reste ? Une  porte vétuste, presque friable. Des fenêtres aux vitres si minces que le froid en hiver établissait ses quartiers. J’ai même dû changer certaines vitres.

           Mes voisins étaient issus de plusieurs endroits de la mappemonde. Afrique noire, Maghreb, Asie et Amérique latine. Quelques rares Européens. De l’Est. Sans doute quelques rescapés de goulag ayant cru comme nous à l’Eldorado. Et un gardien d’immeubles du Portugal. Me voilà donc à pied d’œuvre dans cet ensemble bigarré aux couleurs internationales. Un vaisseau qui a largué ses amarres dans un quartier littéralement squatté par tous les damés de la Terre. A la périphérie de Paris. Nous nous sommes tous involontairement donné rendez-vous dans ce coin comme rançon à notre indigence. Quelle outrecuidance d’oser se mesurer à l’ex-métropole ! Coincé ainsi dans un quatre étages aux continents variés, j’allais observer  toute la misère du monde. L’évasion de l’indigence de nos pays nous plaçait dans une autre indigence. A proximité pourtant, il y avait un océan d’abondance. La société de consommation à portée de vue, non à portée de mains…

           Le quartier latin, mon premier quartier, n’était pas loin. J’y descendais par moments, le boulevard Saint Michel n’était pas loin. Pendant longtemps, j’eus à le fréquenter et d’en faire un lieu de prédilection. J’y rencontrais des compatriotes et me rendais dans ses cinémas. Certaines salles étaient spécialement réservées à la projection de films étrangers dont nous raffolions où je pus notamment voir l’excellent « Papa est en voyage d’affaires ».  Sans doute parce que nous pensions y trouver quelque réconfort, loin de nos patries. Nous devions absolument reconvertir quelque peu nos mentalités pour mieux comprendre les ressorts de la société d’accueil. Ce fut un minutieux apprentissage. Se mettre dans la peau de l’autre pour mieux le comprendre et se faire admettre.

           Parmi mes nouveaux amis figuraient des Maghrébins, des Africains, des Latino-américains, des Européens… J’appris à être Africain et Maghrébin à Paris. L’occasion me fut offerte de connaître moult étudiants en thèse. Souvent, pour financer nos études –en fait nos loyers et notre nourriture-, nous eûmes à exercer toutes sortes de travaux qui allaient de deux heures à deux mois. Et notamment les soirs, les week end et l’été. Combien d’années sans congés, ni vacances ? A foison. Nous étions une sorte de lumpen prolétariat…intellectuel. Et pourtant, nombreux sont ceux et celles qui ont réussi ainsi à préparer leurs diplômes. Ce fut en effet le prix à payer. Notre jeunesse nous protégeait alors. La lecture et la curiosité également. Haro sur le savoir !          

           Beaubourg. Il m’arriva de fréquenter ce lieu de culture durant plusieurs années. Je m’émerveillais de tant de production de livres. A la portée de tout un chacun. Je passais des heures entières à lire, parfois tout un dimanche. Ce que je fis lus tard à la Cité des Sciences où l’astronomie le dispute à la physique, les mathématiques et la médecine. Souvent pour étancher ma curiosité dans des matières autres que le droit. Exercice conjugué à la lecture de journaux et revues en bibliothèques municipales. De nombreuses années, cette soif d’apprendre et de découvrir estompa l’exil. J’y étudiais nombre d’auteurs venus d’ailleurs. Je voyageais ainsi tantôt en Asie, tantôt en Amérique latine. En Afrique et au Moyen-Orient aussi. Il me fut agréable de discuter avec d’autres étudiants venus de divers pays. Au café situé tout en haut de cet édifice culturel, je pus voir Paris et ses toits. Rester ainsi en contemplation de la  ville cosmopolite. Quel régal ! 

           A la même période, je fis mes classes dans des radios libres à destination d’immigrés maghrébins. Je débutai par une émission littéraire. Il me fut ainsi donné de présenter des auteurs venus d’ailleurs. De Tagore à Marquès, en passant par des auteurs Africains et Maghrébins ; je lus alors du poète marocain Laabi des poèmes de Chroniques de la citadelle d’exil et de Sous le bâillon le poème, alors incarcéré pour atteinte à la sûreté d’Etat. Ce fut exaltant tant par la recherche que j’effectuais que par la présentation de ces auteurs. Je mis en place ensuite une émission ouverte au public, en direct, qui se déroulait en soirée ; après exposé du thème du jour, je livrais la parole aux auditeurs. Certaines de ces émissions donnèrent lieu à une profusion d’échanges fructueux mais non moins houleux. S préalable et condition à un passage à la démocratie que nous avions longtemps considéré comme un mode opératoire bourgeois des pays occidentaux avilis par le luxe et corrompus par le passé colonial où tant de barbarie régna. Certains n’hésitèrent pas à clouer au pilori les politiques des pays d’origine également. Ils se sentaient orphelins de la protection effective de leur mère patrie au-delà des vocables jetés en pâture dans les discours destinés à  la consommation intérieure. Durant quelques mois, nous eûmes ainsi loisir à débattre de notre quotidien, à écouter des musiques nous rappelant nos origines. Jusqu’au jour où nous fûmes interdits d’émettre. Quelle frustration au pays des droits de l’homme ! Sevrés de parole sur la place de la démocratie. Confiscation d’un outil de communication avec les siens, dans une langue qui leur est accessible. La leçon fut dure à digérer…

 

* Avocat – Auteur Algérien

 


Date de création : 01/10/2010 @ 18:53
Dernière modification : 21/01/2014 @ 08:50
Catégorie : Articles sur l'immigration
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