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L'exil et la démesure de l'eldorado

L’exil et la démesure de l’eldorado

        Par Ammar KOROGHLI*

L'exil.Vocable voué aux gémonies. Synonyme de souvenirs cruels et de remords. Au goûtde malédiction. Honni par des générations entières d'immigrés, et pourtanttoujours expérimenté par des candidats innombrables. Jusqu'à mettre en périlleur propre vie sur de frêles embarcations, les harraga en course vers laghorba.

R

ejoindrel'eldorado rêvé les yeux ouverts via les images charriées par les chaînessatellitaires. Et par des revues aux photos aguichantes, souvent sous les traitsde minois de filles angéliques. Egalement par des produits de consommationinaccessibles au commun des mortels. Un miroir aux alouettes. L'exil, apanage decirconstances. Les unes autant pernicieuses que les autres. Quotidien implacablereconduit au jour le jour : chômage et misère ambiante, célibat indéfiniment etinvolontairement prorogé, scolarité bâclée et insuccès professionnels réitérés,mille et un métiers pour une louche de chorba, absence du droit à l'expressionet hogra, délit d'opinion et frustrations en cascade, pieuses prières etsaouleries occasionnelles, espoir vain et résignation à l'infini…

L'exil. Imperturbable destin auxcontours incertains, à la froideur certaine. Soleil troqué contre de lagrisaille. Commerce de sa jeunesse pour de l'espérance. Semailles inutiles deses années d'insouciance. Indomptable désir de se surpasser, au-delà des effortshabituels. Consommation effrénée de ses énergies décuplées par l'envie de jaugerses capacités. De mesurer l'étendue de ses talents supposés ou réels. Mais aussisimple besoin de vendre sa force de travail outre-mer, le chômage endémiqueayant gagné de larges pans de la société d'origine, contrainte à une paresseangoissante se muant parfois en suicide.

Egalement audace d'une jeunesse oubliéeet vouée à un perpétuel sacrifice autant absurde qu'inutile, face à l'impérieuxet vital souhait de se soustraire à la mort lente distillée par la morosité descampagnes jetée en pâture à l'oubli et des villes vouées à l'inculture organiséepar un pouvoir central vorace, relayé par des potentats locaux. Une oligarchie.Leur enjeu principal et commun ? Préservation de leurs intérêts gargantuesques àtravers l'accaparement de la rente provenant des hydrocarbures, la recherche duplus grand patrimoine foncier possible et les comptes et résidences en Suisse etailleurs.

L'exilintérieur

Qu'il est dur d'être les victimes dusadisme du pouvoir dans son propre pays. Surtout face à notre fatalismelégendaire qui fait de nous des citoyens soumis chez qui on exploite à satiétéles sentiments patriotiques. Face aux injustices innombrables générées par lapolitique de nos tyranneaux, les candidats à la harga meurent à petit feu. Ladérision, cette thérapie de l'heure, n'est plus de mise, d'autant que souventprivés de notre droit le plus élémentaire à l'expression. De l'exil intérieur lasociété court un grave danger : devenir un vaste univers cellulaire. Une sortede réserve où nous serons parqués. Nos bourreaux cherchent à empoisonner en noustoute forme d'espoir et à polluer nos mentalités par leur propagande à bonmarché. Face à nos assassins, réels ou en puissance, l'indignation n'est plusl'ultime secours. Il est vrai que les prostitués du pouvoir, les nouveaux harkiset autres spécialistes ès flicage et magouille en tout genre craignent lasubversion par-dessus tout.

Rien n'est plus dangereux que dedevenir les béni oui-oui de ces clowns en mal d'inspiration qui ont fait del'Etat une vaste machine à briser les volontés saines du pays. Leur tendance àla malveillance appelle notre répulsion, non notre perplexité. Ils ont semé unemauvaise graine : le népotisme tribal. Nous effacer et exécuter leurs ordres.Voilà l'attitude qu'ils nous dictent pour gagner notre pain… ou l'exil. Devantnotre stupeur et notre engourdissement, leurs consciences séniles jubilent defrénésie destructrice. Ils veulent créer leur vérité. Une vérité à leur image.Pour nous la réclusion, l'exil.

Leurs discours sont de véritablessomnifères. Chaque soir, ils anesthésient nos esprits. Leurs dîners etrencontres sont les occasions pour eux de jeter leur dévolu sur une carrière,ciblée de longue date. Un marketing durablement établi. Ils sont tous membresd'un réseau et ont un bon carnet d'adresses. Aucun d'eux n'ignore les habitudesdes autres. Les mensonges ? Leur spécialité préférée. Cela leur sert à fabriquerune mentalité dans l'opinion de chacun de nous. Ils cultivent l'arrogance etl'ostentation. Ils n'ont dans leurs bouches que les menaces et lesintimidations. En plus, ce sont des bigots hors catégorie. Sans oublier qu'ilssont fiers de la logomachie de leur presse. Devant la rancœur et le désarroi quenous affichons, ils bâtissent une République qui devient, de jour en jour, leurfonds de commerce… Et celle de leur progéniture…

Ils ont semé une mauvaise graine: lenépotisme tribal. Nous effacer et exécuter leurs ordres. Voilà l’attitude qu’ilsnous dictent pour gagner notre pain. Devant notre stupeur et notreengourdissement, leurs consciences séniles jubilent de frénésie destructrice.Ils veulent créer leur vérité. Une vérité à leur image. Pour nous, la réclusion.Leurs discours sont de véritables somnifères. Chaque soir, ils anesthésient nosesprits.Dans l'exil, la vie ressemble aux sablesmouvants. Et j'ai le devoir de clamer l'amertume du monde, la perte d'identité,l'opacité de la douleur…

S

ous leciel maussade de Paris, les nuages pèsent lourd sur la ville où nous avonslaissé nos idées fermenter au soleil pour les semer dans les consciences à venirdans lesbanlieues,cités maudites. Elles ont l’air d’un bloc de granit posé sur le sol qui n’a plusl’intention d’en bouger. Comme pour bouder le monde environnant. La cité effacele souvenir de la ville pourtant à quelques stations de RER. Cette ville quisemble être née à l’improviste. C’est une ville étrange, tel un souveniréphémère des temps. La ville engloutie par l’obscurité ranime les souvenirsd’une autre ville… Les Hauts-Plateaux. Des nids de cigogne sur le toit d’ardoisede l’académie de la ville natale. Quand nous étionsjeunes, au cours du mois de Ramadan, on parcourait les quartiers, dansl’obscurité, dans tous les sens à grand bruit et à grand fracas. Nos mères nousappelaient à travers les portes entrebâillées et les fenêtres des minusculesbalcons de nos HLM rappelant la banlieue…

Banlieuesde banlieues

La banlieue ? Des réverbères à lalumière vaporeuse. Un petit café situé à l'angle d'une rue. Une heure asseztardive de la nuit. Quelques clients éméchés dissertant. Une lumière blafarde.Un café devenu tribunal où se déroule un procès. Nous servons de décor à cettecivilisation. Depuis des années, les gens de ce pays nous considèrent comme deséléments accessoires de leur paysage social. Monde inextricable. Paris, villeaussi belle que l'inconnue rencontrée sur le quai d'une gare. Comme une main quise pose sur l'épaule, moineau en quête d'une graine. De l'exil, tous les Pasteurdu monde ne pourraient guérir ma rage. On ne cède pas facilement à l'engouementambiant, à l'aliénation tissée d'année en année. Dans cette ville, chacun vitdans sa tête…

On meurt à petit feu lorsqu’on se taitface à nos tyranneaux et autres apprenti-dicatateurs qui veulent nous priver dudroit à la dignité en poussant nombre de jeunes dans lahargaavec le risque majeur d’être àjamais englouti par l’océan. Qui organisent la terreur pour nous réduire ausilence intégral. Nous maintenir sous leurs mains salies par le sang d’innocentssacrifiés par des décisions autant imbéciles que criminelles. Leurs structures,organismes et institutions sont livrés à des mains assassines. Mettre à nu leurslâches besognes de bourreaux. Leur tendance naturelle à la malveillance.Dénoncer leurs flagorneurs et autre béni-oui-oui. Traiter par l’ironie ces bacsmoins… Eux qui brisent notre vie intime. Et font de l’Etat une machine à briserles forces saines. Erigent le secret comme un moyen de protection. Je senssourdre en moi une juste et saine colère. De la répulsion à l’endroit de nosgeôliers. Je ressens l’incarcération, même à l’air libre. L’animalité ressort deleurs faces hideuses. Laquais du gouvernement, craignez la colère de vospeuples! Marchands d’illusions aux consciences séniles et au népotisme tribal,craignez votre prochaine descente aux enfers. Vos discours? De vains somnifères…      

Comment oublier la répartie de Kamel?«Je vis dans le bluff permanent. Ma vieest devenue un mensonge. Ma vie est une pute. J’ai envie de crever le néant quime cerne et m’envahit de jour comme de nuit. Tu vois, mes entrailles sont unvolcan et mon cœur une boule de feu. Je vole pour avoir de la tune, ma secondedrogue. Je vis dans un monde aux mille et un mirages. Je me tue tous les joursen faisant le tour des bars. Oui, mon ami, j’apprends à vivre sans espoir.L’identité, je me torche avec. La solitude, voilà qui est plus dangereux qu’elghabra et qu’el ghorba.Vivre comme un petit vieux, ici ou là-bas,qu’est-ce que cela change? Tu me l’as dit toi-même tout à l’heure, les jeunesde ta ville natale ont élu domicile dans les cafés qui fleurissent plus vite queles centres culturels. Bien plus, ils font les cent pas dans la même avenuedepuis des années comme des sentinelles qui guettent un quelconqueespoir».

J’

écoutais en silence.Kamel avait de la peine plein les yeux. Des yeux qui renfermaient des orages.Des yeux malicieux et intelligents.Un sourire qui se gaussait du monde et de ses abominations. Parfois, ilavait l’air absent. Le regard vide. Devant une jeune parisienne qui passaitdevant la terrasse du café où nous étions attablés, il me dit enflammé:«Tu as vu ce paquet? Comme je lasoulèverais. Chouf, t’as vu ces petits seins arrogants? Mais je respire lebougnoule…Tu sais, je voudrais faire de chaque jour une fête. Je refuse demourir avant d’avoir vécu. Parfois, je me sens de trop, je suis gêné. Peut êtreparce que j’ai pris l’habitude d’être rejeté. Tellement que je me sens devenirparano. J’en ai marre de désespérer. J’arrête de penser. Pourtant, comme il meplairait de vivre intensément. C’est de l’inconscience, n’est-ce pas? C’est çamon identité».   

Comment taire l’aventure deYasmina?«Mon ami est en prison. Toute relation sexuelle étant interditependant les visites dans les parloirs, nous étouffions nos émois. Sa main dansla mienne pendant une demi heure. Joie indicible. Juste un sourire et un baiser.D’étreinte, point. Combien de semaines d’abstinence. Quand on s’aime, c’estdifficile à supporter. Le sida? Un risque certes, Mais aussi un épouvantail.L’administration pénitentiaire fantasme. Vivre de l’autre côté du mur, c’estdifficile. Pour le comprendre, il faut faire l’opération inverse: les taulardsà la place des surveillants et vice versa. On rirait bien. Devant tantd’ineptie, seules les larmes. Que voulez-vous? Mon ami Ali en prison et moisans travail. Que faire? Nous avions décidé pourtant d’avoir un bébé. Histoirede nous souder davantage. Nous nous étions ravisés lorsque Ali tomba pour recel.Bêtement. Il me conjura de le garder. Après plusieurs mois, il était toujoursprévenu. Sans jugement. Quelle serait sa peine? On n’en avait aucune idée. Unavocat commis d’office. Vous pensez si cela le touchait. Quand je suis allée levoir à son cabinet, il me reçut quelques minutes. Le temps de m’écouterpoliment. De me dire que tout se passerait bien… Il me fallut choisir:continuer ma grossesse ou avorter. Dans les deux cas, une couverture socialeétait nécessaire. Alors, autant opter pour la première solution. Surtout qu’Aliet moi nous le, désirions ce bébé depuis au moins troisans»…

Comment ignorer la réflexion de l’un demes stagiaires incarcéré à Paris? Communément un taulard. Une cellule quiressemble à un poulailler avec de minuscules fenêtres. Dès le seuil, une odeurdes plus nauséabondes vous serre les narines comme une tenaille. Parmi lesoccupants de ces cellules, il y en qui arrivent à être drôles. Certainsparaissent enjoués, voir même décontractés. Ressemblance parfaite entre unecellule et une chambre de foyer. Des lits superposés. Exiguïté des pièces.

L

’un d’eux meconfia: «J’étouffe. L’agonie pointe à l’horizon. Perspectives bouchées parmes soupirs. Journées interminables. Ennui terrible. Les instants qui me restentà vivre sont devenus des barreaux. Le calvaire fait irruption en moi et bâtit satoile d’araignée. Patiemment mais sûrement. C’est tout juste si mes râles netrouent pas mon gosier. Les battements de mon cœur résonnent dans ma chambre.Une cellule en vérité. De plus en plus. Un ciel obscurci par des nuagesmenaçants. Encore quinze jours à tirer. Le temps prend un malin plaisir à metorturer. A se faufiler. Les barreaux de ma cellule me transpercent les yeux. Laclé tourne dans la serrure de ma cellule, c’est l’instant qui reste à jamaisgravé dans ma mémoire. Comment l’en extirper? Je rêve d’un procès à l’échellesociale pour inverser les rôles».

J’eus à observer les mêmes scènes dansd’autres foyers. Je fis alors provision d’humilité pour apprendre patiemmentd’eux ce qu’aucune université au monde ne dispense comme cours: la simplicité.Je retrouvais cette attitude dans la vie de tous les jours avec mes voisinsd’immeuble où je résidais de très nombreuses années. Je l’appris également enbanlieue, avec la «racaille»dela Courneuve. Dans la rue, dans les cafés, au marché, dans les grandes surfaces…Je fus littéralement happé par cette modestie non feinte, teintée cependant parmoments d’esprit de résignation importée du pays et moulée dans un coin de laconscience. Ces qualités vous aident à mieux vivre tous vos tracas quotidiens.Plus tard, je rencontrais d’autres voisins à Cergy, une ville nouvelle. On ypratiqua jusqu’à une certaine mesure lamixité sociale. On pouvait y voirautant de visages basanés et moustachus que de noirs d’Afrique et de blancsd’Europe. Il est vrai néanmoins que les premiers avaient plus dedifficultés…

Et pourtant… Et pourtant, dès ladescente d'avion, une chaleur étouffante. Comparée à la grisaille parisienne...Dès l'aéroport, vous êtes happé dans des draps linguistiques bariolés auxcouleurs locales. Emerge alors en vous une indescriptible envie de vousenvelopper dans votre particularité d'individu réinséré dans sa matriceoriginelle. Lessalam alikoum fusent et vous rappellent irrémédiablement que vous êtes quasigénétiquement du pays. Il ne saurait y avoir de place pour plus d'une patrie. Ilest vrai aussi que moult contingences vous rivent à l'émigration, la Terre étantdevenue dit-on un village planétaire…


Date de création : 03/10/2011 @ 08:57
Dernière modification : 21/01/2014 @ 08:49
Catégorie : Articles sur l'immigration
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