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Système politique algérien

Système politique algérien . Des ré formes urgentes d’Etat

Par Ammar KOROGHLI
in El Watan du 6 septembre 2005

Nous savons que depuis son accession à l’indépendance, l’Algérie vit dans le cadre d’un système politique dominé par l’institution de la présidence de la République avec la direction de l’armée comme alliée principale et une pensée unique imposée jusqu’au 5 octobre 1988 ; actuellement, il s’agit d’un système de parti dominant qualifié d’« alliance présidentielle » ; la quasi absence de l’opposition sur la scène le confirme et creuse un peu plus le déficit démocratique.
Aussi, pour s’engager dans la voie de la réforme du système politique rendue nécessaire par les modifications intervenues notamment depuis cette date, une révision constitutionnelle devrait pouvoir être opérée à la fois pour redessiner le profil des institutions politiques algériennes et redéfinir les prérogatives de celles-ci en vue d’asseoir un équilibre des pouvoirs.
De la Constitution de 1963 (monocratisme partisan) à celle de 1989 (reconnaissance du multipartisme), en passant par le texte fondamental de 1976 (tendance au présidentialisme) et la révision constitutionnelle de 1995 (sans modification notable), les prérogatives dévolues à la fonction présidentielle se révèlent exorbitantes face à celles reconnues aux autres institutions (notamment aux pouvoirs législatif et judiciaire) qui apparaissent comme les parents pauvres de la répartition du pouvoir d’Etat entre les principaux acteurs politiques. Dans ses conditions et pour mettre en œuvre un contrôle à définir quant à sa nature et son étendue (ainsi que les acteurs qui devraient l’assumer), force est de préconiser un équilibre des pouvoirs à travers les missions de la présidence de la République qui peuvent apparaître démesurées, sous peine de s’enfermer dans un schéma d’autoritarisme caractérisé et de mépris affiché à l’endroit des autres institutions et du personnel politique, judiciaire et administratif ; ce d’autant plus qu’il y a irresponsabilité politique du chef de l’Etat. Ainsi, il y aura lieu de réfléchir à l’institutionnalisation d’un réel contre-pouvoir au sein de l’Etat pour permettre une émulation institutionnelle synonyme d’une bonne santé de la gestion du pouvoir (d’aucuns diraient gouvernance) et de saines décisions démocratiques. A côté des pouvoirs classiques (exécutif, législatif, judiciaire), doivent coexister d’autres institutions et organisations - outre les partis politiques - de nature à infléchir toute décision à même d’engager le pays dans l’immobilisme parlementaire, la dictature présidentielle ou le gouvernement des juges ; ainsi, des organisations non gouvernementales gérées par des personnalités issues de la société civile relativement à la veille quant aux droits de l’homme, la construction de l’Etat de droit, la liberté d’expression (presse et culture). Le premier ministre (souvent désigné selon les critères de connivence politique, voire par compromis) semble être davantage un grand commis de l’Etat chargé d’une mission par le président de la République qu’un homme d’Etat doté de prérogatives autonomes ; à défaut, s’ensuit une guéguerre entre les deux plus hauts représentants de l’Etat conçu en pouvoir bicéphale (cas de Benbitour), notamment lorsque le Premier ministre se porte concurrentiellement candidat à la magistrature suprême (cas de Benflis) ; ce qui pouvait conduire à une cohabitation non exempte de tension politique entre les deux têtes de l’exécutif, car formant un couple orageux. Ainsi, l’autorité dont il peut bénéficier auprès des ministères techniques s’estompe sérieusement face aux ministères dits de souveraineté, notamment ceux des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Justice, ainsi que de l’Economie (qui repose encore pour l’essentiel sur les hydrocarbures et sur une bureaucratie rentière). Les titulaires de ces départements ministériels sont souvent des hommes liges du président de la République qu’il nomme pour leur allégeance à sa personne en vue d’appliquer sa politique, étant précisé que le ministère de la Défense nationale continue d’être constitutionnellement aux mains de ce même président, par ailleurs chef des forces armées. Et il reste évident que le Premier ministre ne peut avoir aucune espèce d’autorité sur ce ministère, dont le patron est aussi le sien. En la matière, la réforme serait d’opérer une réflexion sur l’institution du Premier ministre, car force est de constater la présence soutenue du président de la République lors des conseils des ministres en vue d’asseoir des décisions d’obédience nationale ; d’où sans doute l’inutilité de cette institution que l’on peu juger inefficace et de peu de légitimité surtout, dès lors qu’il est loisible d’observer que les titulaires de ce poste ne sont pas forcément issus d’un parti majoritaire au sein du Parlement, alors que le Premier ministre devrait être le chef du groupe parlementaire le plus représenté au sein de cette institution (dans le cadre du régime parlementaire, en tout cas). Mais, quoi qu’il en soit, en qualité d’expression de la légitimité démocratique, le Parlement doit pouvoir bénéficier de prérogatives à même de lui permettre de contrôler de façon efficiente la politique du gouvernement ; ce, d’autant plus que la recherche d’une majorité parlementaire demeure un élément structurant de la vie politique. Dans le même temps, disparaît la situation quasi-ubuesque qui dure depuis de nombreuses années, à savoir la présence du président de la République qui siège ès qualité au conseil du gouvernement, mais également en qualité de ministre de la Défense (en effet, on imagine mal comment le Premier ministre puisse avoir une quelconque autorité sur le ministre de la Défense) ; confier ce portefeuille ministériel à une personnalité civile résoudrait également cette situation, puisque l’institution de l’armée se professionnalise. De ce fait également, le président de la République devrait pouvoir être plus en rapport avec le Parlement à même de contrôler sa politique ; ce, car le Parlement est également détenteur de la souveraineté populaire. Quant aux ministres, ils devraient bénéficier effectivement d’une autonomie indépendante de la volonté présidentielle pour pouvoir mieux apprécier les solutions à apporter aux secteurs, dont ils ont la charge sous la vigilance du président, en sa qualité de chef de l’exécutif, et du Parlement. En ce sens, c’est lui le véritable chef du gouvernement, et non pas le Premier ministre auquel il délègue des missions selon son bon vouloir.

Bicaméralisme et régionalisation

D’abord, il est légitime de s’interroger sur le bicaméralisme pour lequel a opté le constitutionnalisme algérien ; en effet quels seraient les tenants et aboutissants de l’institution du Sénat (Conseil de la nation) dont le tiers dit « présidentiel » est désigné par le président de la République ? En effet, dès lors que les différentes tendances politiques, couches sociales ou catégories socio-économiques, régions du pays, âges et sexes, sont sérieusement représentées au sein de l’Assemblé nationale, il me semble légitime de s’interroger sur l’efficacité de l’institution d’une seconde chambre. Dans ces conditions, le monocamérisme devrait pouvoir suffire aux besoins du parlementaire algérien qu’il serait inutile de doper par l’élection d’une chambre qui alourdi de toutes façons le fonctionnement normal du système politique pour une meilleure lisibilité et transparence de la vie politique du pays. A cet égard, des Parlements régionaux seraient à même de palier l’absence d’une seconde chambre. Ainsi, l’Algérie n’a pas cru devoir explorer la donne de la régionalisation en tant que forme organisationnelle intermédiaire entre l’Etat et les Collectivités locales à même de permettre une décentralisation et une déconcentration de certaines prérogatives dites de puissance publique entre les mains des représentants régionaux afin d’alléger l’Etat en sa qualité de maître d’œuvre de la politique de la nation - de certaines tâches davantage techniques que politiques. Il y a donc lieu de réfléchir à la mise en place, dans un premier temps à titre expérimental, de régions avec assemblée régionale élue d’où pourrait être désignée l’élite appelée à gouverner cette nouvelle entité politico administrative. Quoi qu’il en soit, l’Assemblée nationale devrait regrouper tous les partis connus sur la scène politique - toutes tendances confondues - aux lieu et place d’un savant dosage obéissant beaucoup plus à des considérations d’alliances qu’à une authentique carte politique issue du suffrage universel (souvent manipulé en sorte que l’essentiel du pouvoir reste concentré entre les mains des décideurs politiques en leur qualité de géniteurs du système). C’est sans doute là une réforme d’Etat d’avenir.

Armée

Historiquement, l’armée a été mêlée à la vie politique pour permettre à certaines personnalités nationales d’accéder au pouvoir ; ainsi, le 19 juin 1965, Boumediène ès qualité de ministre de la Défense a pu sans coup férir prendre le pouvoir. Depuis, l’institution de l’armée, à travers sa haute hiérarchie, a été davantage encore mêlée à la politique du pays ; ce qui explique sans doute que, depuis cette date, tous les présidents de la République ont à leur corps défendant gardé le portefeuille de la Défense nationale. Ce ministère se révèle d’une importance capitale pour qui veut dominer l’échiquier politique, longtemps assujetti à la pensée unique. A ce jour, c’est toujours le cas, même si les tenants du pouvoir (depuis notamment l’arrêt du processus électoral de 1991) se proposent de réaménager cette institution afin d’en faire un corps de professionnels. Elle demeure, en tout cas, une institution incontournable dans la vie politique et constitutionnelle algérienne. La réforme devrait consister en une professionnalisation en sorte que cette institution, nécessaire à la Défense nationale, puisse se consacrer avec sa haute hiérarchie à cette tâche dévolue au demeurant par le texte fondamental du pays.

Partis politiques

Hormis le FFS, né au lendemain de l’indépendance nationale par la volonté d’opposition de ses promoteurs, les autres partis politiques sont nés pour la plupart suite aux événements d’octobre 1988 (une loi ayant promu les associations à caractère politique). Les élections municipales (ayant vu l’émergence du FIS au pouvoir local) et celles législatives, contestées au demeurant (près de la majorité des sièges parlementaires à ce même parti au premier tour et l’arrêt du processus électoral) ont fait vivre à l’Algérie des tribulations qualifiées officiellement de tragédies (en d’autres lieux, il s’agirait plutôt d’un crime de haute trahison envers la nation, passible d’une haute cour de justice). Le FLN, longtemps parti au pouvoir, n’a pas réussi sa reconversion tant attendue, du fait de la permanence des données de base du système politique en vogue depuis l’indépendance ; en réalité, il y a eu primauté de fait de la direction de l’armée sur celle civile partisane du FLN promu en parti unique de pouvoir que les uns et les autres continuent de se disputer à ce jour. Hors, les partis, nombreux ceux ayant été contraints de s’effacer de la scène, car ne pouvant s’imposer sur l’échiquier politique, les seuls partis qui demeurent sont ceux qui représentent la tendance dite nationaliste se réclamant de constantes nationales (arabité, amazighité, Islam), dont celle mise sur pied par les tenants du pouvoir après que feu Boudiaf ait prôné l’émergence d’un parti politique national et démocratique au service de la République algérienne et la tendance dite islamiste - en tout cas se réclamant du seul Islam comme base idéologique - tolérée par le pouvoir, car jugée modérée et s’intégrant dans le jeu politique en siégeant au Parlement et au gouvernement. Compte tenu de l’orientation à insuffler au système politique, la réforme en la matière serait une solution qui pourrait aboutir soit à un bipartisme (selon un schéma classique : parlementaire comme c’est le cas de la Grande-Bretagne avec les conservateurs et les travaillistes ou présidentiel avec les républicains et les démocrates, comme c’est le cas aux Etats-Unis) ou à un multipartisme (selon un autre schéma : régime qualifié de semi- parlementaire ou semi-présidentiel, je dirais présidentialiste, car l’essentiel du pouvoir demeure aux mains du seul président de la République, dont le Premier ministre apparaît souvent comme un tampon entre lui et les autres institutions, dont principalement le Parlement, et comme un fusible pratique lors de mécontentements réitérés de la population) ; ce qui laisse d’ailleurs penser qu’on est loin d’aboutir à une République des partis. Ainsi, le constitutionnalisme algérien gagnerait à exercer une réflexion approfondie et à instaurer un large débat sur les réformes d’Etat quant au bicéphalisme de l’Exécutif et le bicaméralisme relativement aux institutions du Premier ministre et du Sénat. La régionalisation mérite également de retenir l’attention du législateur. La presse et la culture doivent également devenir des pôles d’intérêt démocratique.

Indépendance de la justice

Par ailleurs, s’il est vrai qu’il faut éviter ce que d’aucuns désignent comme le gouvernement des juges, il est clair toutefois que les élus locaux comme nationaux - ainsi que les autres instances issues du gouvernement dont les ministres - ne peuvent être exonérés de leurs fautes, dont ils doivent répondre devant les tribunaux ordinaires eu égard au principe de l’égalité de tous devant la loi. Et bien entendu, s’il faut également éviter la judiciarisation de la vie politique, il est sain d’asseoir une tradition démocratique de sorte que les mis en cause se voient contraints de démissionner de leur poste à raison de leurs responsabilités avérées dans des situations délictuelles par exemple. A cet effet, la pénalisation de la vie politique doit permettre la recherche de la responsabilité pénale des hommes politiques par le juge judiciaire comme le commun des mortels - et non plus par des juridictions spécialisées - pour des incriminations relevant du droit pénal et nécessitant des procédures pénales (comme c’est le cas actuellement pour les journalistes à raison de leurs écrits présumés délictueux). De même, le juge constitutionnel doit pouvoir se départir de son rôle de simple donneur d’avis à l’exécutif qui fait de lui une institution inféodée à la personne du président de la République. Il se doit de s’inscrire dans une autonomie lui permettant de devenir une véritable juridiction constitutionnelle au service de la nation algérienne ; ce qui laisse supposer que tant le pouvoir constituant que le législateur se laissent tenter par l’idée de modernité de la société algérienne en procédant de façon volontariste, d’une part, à la féminisation de la vie politique par l’instauration du système dit de la parité quant à l’élection des femmes à tous les échelons du pouvoir local et central (ainsi qu’à une plus grande accession des postes de hauts fonctionnaires proches des décideurs politiques) et, d’autre part, à la rationalisation du « nerf de la guerre » que sont les moyens financiers des partis politiques en vue d’une transparence visible pour le citoyen qui a certainement horreur des scandales financiers et de la corruption en tant que thème récurrent, mais à ce jour inabouti. Il est vrai que le financement desdits partis échappe à tout contrôle organisé et sérieux tant les stratégies de marketing de ceux-ci demeurent occultes ; ce qui ne peut contribuer à une moralisation de la vie politique en sorte que là aussi le législateur à fort à faire pour mettre en place un dispositif légal assurant un financement public des partis et un remboursement public des dépenses électorales, accompagné d’un contrôle administratif et juridictionnel. Au total, pour ne pas encourir le risque majeur de la sclérose du système politique algérien, force est de chercher à résoudre cette question fondamentale, à travers une sérieuse révision constitutionnelle : comment réconcilier les Algériens avec les impératifs de développement politique (la démocratie), le développement économique (impulser une politique efficace de l’investissement et rentabiliser le parc industriel existant, dans le cadre d’une économie forte et sociale de marché), le développement social (l’émancipation des travailleurs avec la mise en place d’une nouvelle législation sociale), le développement culturel (renouveau linguistique et remise à flots des créateurs dans l’ensemble des domaines artistiques) et la justice sociale conçue comme pierre d’angle de tout projet cohérent, dont la légitimité doit reposer sur la capacité du gouvernement à régler les problèmes des citoyens et à tolérer l’esprit critique - voire simplement caustique - de la presse.

Notes :

(1) A. Koroghli « Quelle Constitution pour quelle politique ?... » (El Watan des 16 et 17 juin 1996) et Présidentialisme, démocratie résiduelle et bailleurs de pouvoir (El Watan du 26 janvier 2000).
(2) A. Koroghli « Pour la société civile » (El Watan du 21 juin 1993).
(3) A. Koroghli « L’Algérie entre bureaucratie et monétarisme » (Libération du 2 juillet 1991) et « Le mal développement algérien » (Le Matin des 9, 11 et 12 avril 2004).
Ammar Koroghli


Date de création : 05/10/2005 @ 15:39
Dernière modification : 21/01/2014 @ 00:06
Catégorie : Articles à caractère politique
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